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Reconversion des serres : entrepédagogie, anticipation et expérimentation

Tout comme les entreprises horticoles, les exploitations de production des centres de formation doivent se renouveler. Au lycée breton de Châteaulin, sous la houlette de Stéphane Corre, les roses ont peu à peu laissé la place aux fraises et légumes bio.

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Les serres des écoles horticoles doivent pouvoir proposer aux élèves les techniques et pratiques qui évoluent. Elles doivent aussi tenter d’exister dans l’objectif d’une rentabilité financière.

Au lycée agricole et horticole public de l’Aulne, à Châteaulin*, dans le Finistère, Stéphane Corre, directeur de l’exploitation, est en perpétuelle remise en question. Chargé d’animer ce site à vocation pédagogique, il travaille sur une surface très limitée. Pendant l’année scolaire, les élèves y effectuent des travaux pratiques, avec une semaine de stage pour les première année en bac pro, encadrés par le personnel de l’exploitation.

Pour eux et avec eux, il explore les marchés de diversification­, l’utilisation et la valorisation d’auxiliaires naturels, la fertilisation azotée…

« Il y a quarante ans, l’exploitation était nettement vouée aux productions ornementales, avec un axe fort en multiplication. Elle était équipée pour les semis et les boutures, et assurait le cycle jusqu’à la vente. Avec pour culture phare la rose hors sol, mais aussi beaucoup de plantes vertes. Depuis sept ou huit ans, les ventes de Toussaint baissent constamment. Et les jeunes n’achètent plus autant de fleurs que leurs aînés, ou en tout cas ne vont plus beaucoup acheter là où il n’y a que des fleurs. C’est une clientèle très volatile. Sans oublier que les communes réduisent leurs achats pour le fleurissement hors sol. Pour l’exploitation, reste alors environ 20 % des ventes en annuelles, plus des cyclamens, chrysanthèmes, vivaces et plantes de pépinière. Il a fallu réagir et se tourner de plus en plus vers le maraîchage, tout en restant dans les clous des référentiels pédagogiques** », analyse-t-il.

Des fraises sur gouttières

Une étape importante a été franchie en 2011, avec une évolution du modèle, qui s’est tourné davantage vers les cultures vivrières, dont les condimentaires, aromatiques et de multiples légumes en maraîchage « bio ». Et aussi les fruitiers.

La rose a finalement été remplacée par la fraise. Avec un objectif supplémentaire : se positionner pour être en phase avec les productions locales et le marché national.

« Sans prétention, nous mettons également en place des expérimentations depuis trois ans afin de cultiver les fraises sans pesticides. Il y a un gros réseau, localement. Dans notre exploitation, nous testons des productions autonomes, avec des variétés de fraisiers remontantes, notamment pour la transformation. Nous avons réadapté nos structures et équipements existants, sans investissement, simplement. J’ai trouvé des gouttières. Il y a beaucoup moins de contraintes qu’en production classique de roses. Et nous restons dans le cadre des référentiels scolaires, qui comprennent les cultures hors sol. Nos fraises­ sont cultivées en protection biologique intégrée, mais n’ont pas le label AB car elles sont produites en hors-sol », reprend Stéphane Corre.

Mieux gérer la fertilisation des endives

Les endives sont cultivées dans les serres de Châteaulin depuis février 2018, avec 4 000 racines au départ, et en complément, via un atelier (avec tunnel et plein champ) en place sur le site partenaire du CFA-CFPPA de Kerliver, à Hanvec (29), distant d’une vingtaine de kilomètres.

« Il y a vingt-cinq ans, mon premier métier était dans la production d’endives conventionnelles. On utilisait beaucoup d’engrais. Maintenant, avec une enseignante en bio, nous apprenons par exemple aux élèves à tenir compte de la conductivité avant de fertiliser (lire l’encadré). J’ai reconverti les 30 m2 de “chambre noire” d’occultation des poinsettias pour forcer les racines d’endives. Et nous disposions déjà de frigos pour les stocker. Depuis 2019, nous produisons nous-mêmes nos racines, à Morlaix***, au lieu de les acheter dans le Nord. Nous réussissons mieux le calibrage et la qualité gustative. Nos colis proposent du premier choix et de l’extra, avec emballage, étiquetage, code à barres », précise-t-il.

« Notre cycle de production est autonome localement grâce à la complémentarité du troisième établissement partenaire, le lycée agricole public de Suscinio, à Morlaix (29)*, distant de 60 kilo­mètres. Grâce à mon collègue Clément Sevestre, j’ai pu produire cet hiver 20 000 endives, en deux variétés, l’une précoce, l’autre tardive, pour correspondre au planning scolaire. À Morlaix, l’exploitation est équipée pour la production de premier et deuxième choix de lé­gumes racines de pleine terre et endives hors sol. La préparation des commandes y est très automatisée. À Châ­teaulin, sur une surface réduite, j’ai l’activité d’un petit maraîcher. D’où l’intérêt pour moi et mes élèves de proposer aussi les livraisons via un magasin de producteurs Goasven, à Logonna-Daoulas (29).

De novembre à juin, ces deux cultures – fraises puis endives – s’inscrivent bien dans le planning scolaire (notamment les classes de seconde en productions horticoles pour les endives), tout en apportant de la valeur ajoutée. Il n’y pas – ou pas suffisamment – de ventes locales par rapport à la demande, alors elles n’entrent pas en compétition avec les producteurs du coin. « Au contraire, avec les racines, je peux leur proposer de se diversifier », estime Stéphane Corre.

Autonomie et antigaspi

Dans cette démarche, l’équipe enseignante et la cantine apportent aussi aux élèves des notions de lutte contre le gaspillage, pour les sensibiliser aux cycles vertueux. « En amont, en légumes et fruits d’été, nous nous focalisons sur les plantes et variétés produisant pas ou peu de déchets. Nous essayons d’avoir très peu de pertes. Avec un volant de maraîchers, nous travaillons sur commande. De même avec des précommandes côté particuliers. Nos fruits et légumes sont consommés par le lycée, les invendus transformés sur place, par exemple en soupes, le reste est composté. En ornemental, l’antigaspi est une notion plus difficile à illustrer, car on perd beaucoup », rappelle-t-il.

« Bien que notre exploitation ne soit pas assez visible, derrière le lycée, et fermée pendant les vacances scolaires, on vient chez nous pour nos productions bio, qui sont nos produits d’appel dès avril pour la vente au détail sur place. Nous adaptons les ventes aux demandes des magasins. C’est possible car nous faisons des cultures hyper spécifiques et qu’il n’y a personne d’autre dans un rayon de 50 kilomètres. Nous livrons neuf points de vente, dont les supermarchés de la ville (Jardileclerc et Lidl), Bricomarché, des fleuristes, et nos produits sont présents au marché. Nous avons trouvé un partenariat avec des responsables de rayons légumes, dont l’un qui a déréférencé les produits de sa centrale et travaille avec nous. Pour compléter, j’ai dû chercher des producteurs à fournir en racines. Bien qu’étant exploitation de lycée, je ne déroge pas du tout sur les prix, ce sont ceux du marché. Nos produits sont aussi bien valorisés que dans un magasin de producteur », note Stéphane Corre.

« Être flexible, oser expérimenter »

« Nous devons être flexibles localement, sans cesse nous adapter. Il faut oser, tenter, solliciter les clients acquis et potentiels. Et expérimenter, par exemple pour la production d’asperges bio à moins de 10 euros (contre 13 à 15, généralement). Nous envisageons aussi un kit (“Ty Endive”, à faire­ pousser soi-même) et un plus grand lombricomposteur, afin de recueillir du thé de vers et ses oligoéléments », conclut-il.

Odile Maillard

*Faisant partie de l’Établissement public local d’enseignement­ et de formations professionnelles agricoles­ (EPLEFPA) Châteaulin-Morlaix-Kerliver.

**https://cmk29.educagri.fr/lexploitation-de-chateaulin

***Semis mécanique des graines d’endives, vers fin mai, avec une récolte fin octobre des racines. Quinze jours de frigo­ puis le forçage… pour une récolte finale vers Noël.

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